Le député Jean-Pierre Vigier (LR-Haute-Loire) a demandé au Ministre de l’Intérieur des éclaircissements « sur la réglementation des chemins ouverts et non ouverts à la circulation publique ». Malheureusement, la récente réponse ministérielle génère du flou en matière de présomption d’ouverture des chemins ruraux. Voici quelques explications utiles pour lutter contre cette désinformation.
Nous remercions au passage M. Vigier, qui attirait ainsi l’attention du Ministre sur les difficultés rencontrées par les conducteurs. Comme nous ne cessons de le dénoncer ces dernières années, il est difficile de savoir précisément où l’on peut poser ses roues en toute légalité, entre chemins privés, chemins d’exploitations, chemins ruraux, carrossables, non carrossables, etc.
Une réponse qui pèche par omission
La réponse du Ministre vient rappeler que « en l'absence de barrière, un chemin carrossable est considéré par défaut comme étant ouvert à la circulation des véhicules, à moins qu'il ne s'agisse d'un chemin de terre desservant un champ ou d'une voie privée en impasse. »[1]
Le Ministre rappelle ensuite que « s'il s'agit d'un chemin non carrossable (chemin trop étroit pour une voiture ou très escarpé), il est alors considéré comme fermé à la circulation et réputé interdit sans qu'il y ait besoin d'une signalisation. » Cette condition est issue non pas de la loi mais de la jurisprudence.
Le 1er hic, c’est que cette jurisprudence concerne uniquement les chemins privés, et non les chemins ruraux.
Les chemins ruraux sont en effet ouverts à la circulation publique sans condition d’état ni d’entretien, comme l’ont rappelé tant la funeste « circulaire Olin » (2005) que la plus récente « instruction NKM » (2010) :
« Les chemins ruraux font partie du domaine privé de la commune, mais sont affectés à l’usage du public (art. L. 161-1 à L. 161-13 du code rural). Ils sont ouverts à la circulation publique et leur fermeture ne peut résulter que d’une mesure de police prise, soit pour des motifs de sécurité, soit pour des motifs liés à la protection de l’environnement (art. L. 2213-4 ou L. 2215-3 du code général des collectivités territoriales). L’arrêté doit être alors publié et une signalisation réglementaire installée sur les abords de la voirie. »
Nous ajoutons, à destination de ceux qui en douteraient encore, que la loi Lalonde elle-même consacre les chemins ruraux comme supports de la circulation motorisée :
« la circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l'État, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur. » (article L362-1 du Code de l'Environnement)
Le second hic est de taille : sur le terrain, il est impossible de différencier un chemin rural d’un chemin privé.
Le conducteur se trouve donc confronté à un dilemme s’il veut rouler sans risque de verbalisation[2].
Soit notre conducteur n’emprunte que des chemins carrossables. Dans ce cas il restreint sa liberté de circuler en se privant de l’énorme kilométrage de chemins ruraux mal entretenus. Lesquels finissent par disparaitre faute d’usage. À noter que notre conducteur croisera sur ces chemins carrossables le plus grand nombre de promeneurs, cyclistes, familles avec enfants et poussettes… On a rien contre, bien sûr, mais est-il bienvenu de concentrer tous les usagers sur les mêmes voies ?
Soit notre conducteur veut emprunter tous les chemins auxquels il peut accéder légalement - et donc légitimement. Ce qui impose d’identifier préalablement les chemins ruraux existants. L’usager doit alors se renseigner par des moyens dont aucun n’est pleinement satisfaisant : cadastre, mairie… Ces recherches nécessitent des connaissances techniques, juridiques, et beaucoup de temps. Leurs résultats ne sont même pas garantis à 100 %. En effet, le cadastre n’est qu’un document fiscal ; d’autre part de nombreuses municipalités méconnaissent leur patrimoine de chemins ruraux. Malgré tout, on peut raisonnablement attendre de l’organisateur d’une grosse randonnée qu’il accomplisse cette démarche (nous le recommandons d’ailleurs). En revanche, une telle exigence appliquée au citoyen lambda qui part en balade le dimanche matin se révèle totalement disproportionnée, pour ne pas dire abusive.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’une fois en balade, le conducteur peut s’égarer, confondre un chemin avec un autre… et se retrouver ainsi sans le vouloir en situation d’infraction. Ou pire encore : emplafonné dans une clôture en barbelés, comme nous l’avons déjà dénoncé.
Que faisons-nous maintenant ?
Nous allons bien entendu écrire à Monsieur Castaner pour demander que la réponse soit officiellement complétée. Nous espérons qu’il s’agit d’une simple erreur de la part de ses services et non d’une volonté délibérée de restreindre artificiellement la liberté de circuler des usagers des chemins ruraux.
Il ne faut en effet pas se leurrer : la question de la présomption d’ouverture à la circulation publique des chemins concerne tous les usagers, et au premier chef les vététistes ou les cavaliers. Notamment en forêt, où il arrive que l’ONF verbalise les vététistes sur les sentiers qui n’ont pas été spécialement balisés à leur usage.
Nous en profiterons pour contester encore et toujours ce critère de carrossabilité parfaitement subjectif et inadapté. Nous empêcher de circuler sur des chemins existants au prétexte de leur mauvais état n’apporte absolument rien à la protection de la nature, puisque le hors-piste est déjà strictement interdit.
En attendant la réponse du Ministre de l’Intérieur, nous invitons les randonneurs motorisés à conserver cet article à portée de main. Il pourra servir à contredire les empêcheurs de circuler, qui ne manqueront pas d’utiliser à mauvais escient cette réponse ministérielle incomplète.
Si vous souhaitez diffuser cet article, merci de nous en informer (secretariat@codever.fr), sans oublier de citer sa source (Codever - Collectif de Défense des Loisirs Verts). Merci.
[1] On espère que ce passage sera lu par les agents de l’ONF qui ont récemment verbalisé des conducteurs sur des chemins forestiers carrossables dépourvus de toute barrière ou panneau d’interdiction (deux affaires en cours sont suivies par le Codever). [remonter]
[2] Tout au moins, avec un risque limité, puisque le risque zéro n’existe pas : il arrive parfois que des conducteurs soient verbalisés sur des chemins carrossables ! [remonter]
Au fait, qu’est-ce qu’un chemin rural ?
Le Code rural et de la pêche maritime définit précisément cette catégorie de voies :
« Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. » (article L161-1)
« L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale. » (article L161-2)
Comme on le voit, il n’est ici nullement question de l’état du chemin ni de son caractère circulable. Il suffit que le chemin rural soit utilisé comme voie de passage, ou entretenu par la commune (même de façon minimale ou irrégulière, selon la jurisprudence).